À quoi doit-on s’attendre en 2017 dans le secteur philanthropique?

Julie Broome, directrice du réseau Ariadne (European Funders for Social Change and Human Rights) nous présente en avant-première les prévisions 2017 d’Ariadne, à paraître courant mars.

Depuis trois ans, Ariadne produit un rapport présentant les prévisions pour le secteur philanthropique pour l’année à venir. Construit à partir d’une enquête auprès des membres d’Ariadne et d’échanges approfondis avec un panel d’acteurs et experts en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en France, en Belgique et en Italie, ce rapport est devenu, pour beaucoup de fondations, un outil d’analyse prospective qui permet d’éclairer les décisions et les orientations stratégiques.

Quelles principales évolutions et tendances faut-il avoir à l’esprit pour 2017 ? Nous nous intéressons d’une part aux changements détectés dans les pratiques des financeurs, et d’autre part aux défis auxquels sont confrontés leurs bénéficiaires. Ces deux questions sont traitées au regard du contexte mondial et national, et des événements susceptibles d’avoir un retentissement sur l’environnement et les pratiques du secteur philanthropique.

Tout d’abord, les pratiques des bailleurs, c’est-à-dire des fondations distributives, sont marquées par trois tendances majeures :

  • La tendance collaborative : face à la baisse inexorable des financements publics, les fondations sont confrontées à la nécessité de faire mieux et plus avec moins. L’option collective (co-instruction ; co-financement ; co-évaluation) visant à optimiser leur impact est donc de plus en plus pertinente. L’approche collaborative présente deux avantages : d’une part, elle permet de construire de l’intelligence collective sur des enjeux complexes comme par exemple les migrations. D’autre part, elle encourage les fondations à décloisonner leur approche pour travailler de façon plus transversale, conjuguant par exemple la question environnementale, avec les enjeux sociaux et les droits humains.
  • Le recentrage de l’action des fondations au niveau national, voire local : cette tendance a une dimension positive, celle du développement local qui cherche à répondre de façon ciblée aux besoins des communautés en proximité. À l’inverse, dans un contexte de montée des nationalismes, le redéploiement des financements à l’échelle nationale plutôt qu’à l’international peut traduire un repli des acteurs philanthropiques, qui peut être délibéré, mais aussi parfois subi, sous la contrainte étatique.
  • La communication, enjeu majeur pour les fondations. Le contexte actuel est marqué par le discrédit croissant de la parole politique dans l’ère de la « post-vérité », mais aussi par la prise de conscience du caractère faillible des réseaux sociaux, que le modèle algorithmique transforme en amplificateurs de tendances. Enfin, la déprofessionnalisation du journalisme et le déclin de la pratique d’investigation rendent plus difficile l’accès à des informations solides et fiables. Pour les fondations, la communication est un enjeu particulièrement sensible, car elles sont amenées à justifier leur efficacité et leur légitimité, notamment lorsqu’elles interviennent sur des sujets clivants. L’effort de pédagogie, la production de données et le soutien à la recherche sont donc des points essentiels de mobilisation et de vigilance pour le secteur.

À l’autre bout de la chaîne philanthropique, les bénéficiaires des fondations font face à deux défis principaux :

  • La restriction de l’espace pour la société civile. Si jusqu’ici ce phénomène concernait surtout des pays traditionnellement autoritaires situés hors de l’Europe (Russie, Chine), il s’étend aujourd’hui à des pays plus proches de nous, comme la Hongrie et la Pologne (cas d’intimidations d’ONG). Au Royaume-Uni, les fondations pourraient être tenues de transmettre à l’État certaines informations sur leurs bénéficiaires. Ces informations pourraient être partagées avec des gouvernements étrangers, ce qui présenterait des risques pour les bénéficiaires installés dans ces pays.
  • La montée du populisme et des nationalismes, en Europe et ailleurs dans le monde, constitue un sujet d’inquiétude majeur pour les bénéficiaires des fondations dans la sphère du changement social et des droits humains. Après le Brexit et l’élection de Donald Trump, les échéances électorales en France, mais aussi aux Pays-Bas et en Allemagne, sont attendues avec anxiété par le monde associatif, qui craint une montée du racisme et des discriminations, et une réduction des financements publics dédiés à la lutte contre ces problèmes.

Dans ce contexte marqué par l’incertitude et la complexité, le rôle d’Ariadne est de donner aux acteurs du secteur philanthropique des clés d’interprétation et d’anticipation. La tendance au développement d’initiatives collectives est certainement la plus encourageante et la plus utile pour faire face aux lourds défis qui marquent la période actuelle. C’est de ces rencontres, de ces rapprochements entre fondations que naîtront des idées et initiatives concrètes pour contrer la tendance au repli que nous observons.